
Youriy Vodenitcharov dans son magasin du boulevard Malesherbes Paris 17ème. crédits photo © Dao Bacon
A près de 50 ans, Youriy Vodenitcharov a déjà eu mille vies. Serveur dans un hôtel de la côte puis artisan-menuisier, à 22 ans il fuit sa Bulgarie natale et le régime communiste pour la France. Aujourd’hui architecte d’intérieur, il se remémore son parcours et son arrivée chez nous.
« Je suis arrivé en France un 14 juillet. Il y avait un tel vacarme c’était incroyable ! ». Parti de Sofia à 22 ans pour fuir le régime communiste, Youriy Vodenitcharov, artisan-menuisier bulgare installé à Paris depuis 28 ans, a découvert la France au son des klaxons et des feux d’artifice. Un véritable choc pour ce jeune homme vivant de l’autre côté du « Rideau de Fer », peu habitué au bruit des voitures. « Le premier jour, je me suis retrouvé place de la Bastille, le vacarme était exténuant, j’avais mal à la tête et le lendemain, il y avait une grève ! C’est comme ça que j’ai connu la France ! » se remémore-t-il.
L’arrivée de Youriy sur le sol français n’avait pour autant rien de festif. Réfugié politique dans notre pays, il fut interrogé, arrêté et menacé par la police bulgare à plusieurs reprises. « A l’époque, il suffisait simplement de ne pas avoir d’opinion pour être considéré comme un opposant. Je n’étais pas politisé mais je n’étais pas non plus un mouton » avoue-t-il. En 1986, il décide avec sa première épouse de quitter la Bulgarie pour rejoindre la France lors d’un périple en train à travers l’Europe. Le choix de Paris, il le doit à sa mère d’origine russe très francophile et à son travail dans un hôtel sur la mer noire auprès de touristes français. « Bizarrement personne ne voulait travailler avec eux. Ils avaient la réputation d’être des râleurs et de ne jamais laisser de pourboires » se souvient-il, avant d’ajouter que c’est surtout leur joie de vivre et leur convivialité qui le marqua à l’époque.

aujourd’hui architecte d’intérieur, Youriy se remémore les difficultés qu’il a du surmonter pour s’intégrer à notre culture crédits photo © Dao Bacon
« J’ai du tout recommencer à zéro »
La France, pays des Droits de l’Homme ? Il nuance. « Il y a une liberté indéniable, mais on peut toujours mieux faire. » Alors qu’il ne parlait pas un mot de français à son arrivée, ce sont pourtant bien les associations et les cours du soir qui lui permirent de s’intégrer et de trouver du travail. « J’ai du tout recommencer à zéro » comme il le dit lui-même, repasser un CAP et BEP de menuisier sans pouvoir compter sur la communauté Bulgare présente à Paris, trop méfiante envers les nouveaux venus.
Une langue difficile qu’il a apprise grâce à la télévision, les dictées de Bernard Pivot et les journaux dont il avait et a toujours une lecture intensive. « J’ai mis 5 ans avant de commencer à comprendre les articles du Canard Enchaîné, les jeux de mots, l’humour. Les mots étaient magnifiques ». 28 ans après et une belle maîtrise de la langue, se sent-il français ? Une réponse difficile. « Je me sens Français sauf pour les erreurs de langue et l’accent, mais je suis encore en décalage avec certains comportements ». Ne pas pouvoir passer à l’improviste chez des amis ou de la famille et le manque de spontanéité sont des habitudes françaises dont il se passerait bien. Malgré cela, Youriy se sent chez lui en France et son image des français a évolué au fil de ses années passées ici. « Vous comprenez mieux les choses quand vous vivez dans un pays. Les français sont râleurs oui, mais ils sont perfectionnistes, ils sont râleurs mais ils savent faire la fête. Les défauts sont toujours là mais ils deviennent petit à petit des excuses ».